Des livres et nous – Christian Satgé

Petite fable affable

Un opus, du genre gros album, en faisait des tomes,
Jouait, en livrée, les Atlas au pays des Hommes.
Il en imposait par son volume qui poussait
À faire des sommes chez qui ne peut s’en passer,
À muscler ses vieilles étagères pour qu’il y trône
Avec sa jaquette plus convaincante qu’un prône.
Sa quatrième y incitait : « Un broché pas du
Menu fretin », « Un indispensable, un vrai, perdu
Au milieu des collés », « Senteur d’un bouquet frais
Parmi vos bouquins fanés »,… ou, mieux : « Meilleure vente ! ».
Quant à son propos si bien relayé, pour de vrai,
Quoique relié, personne aujourd’hui ne le vante.
Certes « Il était gros, il était sot il sentait bon
La fable à chaud », « Avec lui, même chez les barbons,
L’écrit se porte haut » disait alors la critique,
« Ce livre est de la belle ouvrage », « Presque biblique »,…
L’auteur pour le vendre, aussi, s’était mis au charbon.
On en faisait des fascicules dithyrambiques !

Au même moment, on éditait furtivement
Un carnet qu’on jeta dans l’oubli des plus crument :
Mis à l’index, il n’eut lors guère voix au chapitre ;
Quelques lignes ici, un mot là au journal, son titre,…
Trop manuel sans doute, peut-être pas assez
Intellectuel, il se vendit mal, ce placet
Quand on faisait sans fin ni foi des romans sur l’autre,
Pire, sans livrée, il avait une gueule d’apôtre :
Dans les annales des recueils ou de l’imprimé
Il ne resterait mie malgré le bouche à oreille.
Édité, c’est sûr, sur le coup d’un « Sait-on jamais… ! »
Libelle pas à la page que d’aucuns, merveille,
Auraient très volontiers mis au placard plutôt
Qu’en vitrine, cloué au pilori au plus tôt
Quand l’autre, dans mon souvenir, porté au pinacle,
Est resté dans toutes les mémoires car, miracle,
Fruit de quelque inconnu, hors mode et sujets bateaux,
Cet opuscule là, lui, on l’avait lu. Quel tacle !

Les gens sont comme les livres, c’est vérité nue :
Si les uns te trompent souvent par leur couverture
Les autres surprennent parfois par leur contenu.
Aussi qui veut connaître leur vraie nature
Va les lire non les regarder, c’est bien connu…

© Christian Satgé – mai 2017

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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Geno
Geno
Invité
6 mars 2017 9 h 26 min

Christian ou l’Ecole des Fables… un auteur à suivre ! savoureux…

Plume de Poète
Administrateur
6 mars 2017 7 h 23 min

Magnifique fable Christian ! Merci pour ce partage qui une fois de plus nous donne l’envie de découvrir toutes vos oeuvres…
Vaste sujet que la littérature qui fait tellement couler d’encre mais aussi ancre en nous les mots et les maux des coeurs.
Bien à vous,
Alain :)