Catherine sinon rien – Autobio Tome XXXI – Jean-Marie Audrain

XXXI Catherine sinon rien

Passé l’épisode des pèlerinages, j’ai repris du service comme permanent au CEP Sorbonne. C’est là que sont rentrées deux jeunes étudiantes en Anglais : Catherine et Suzanne. Elles venaient se renseigner sur ce lieu convivial accueillant fraternellement chrétien comme tout venant. En fait, c’est uniquement à Catherine que je parlais car une douceur sans nom émanait de son visage. Nous avons tout de suite parlé de nos valeurs et de nos passions, à tel point que Suzanne s’en sentait gênée. Etant souvent seul dans ce local à mes heures de permanence, Catherine venait me tenir compagnie lors de ses intercours. Le feu a pris lentement mais sûrement avec cette jolie brune aux irrésistible yeux de jais.

Il faut avouer, qu’à l’époque, j’étais très ami avec Nathalie Isabelle, une adorable blondinette rencontrée à un cours d’embryologie à la faculté de Médecine Sorbonne Université. On se parlait longuement devant l’amphithéâtre de la rue de l’Ecole de médecine et en marchant jusqu’à sa station de métro. Elle m’accompagnait ici et là, même le week-end chez mes parents. Elle faisait déjà un peu partie de la famille. Nous avons également déambulé des heures durant le long de la Seine. Elle me parlait d’un eurasien prénommé Denis qui avait des penchants normands au niveau affectif :”p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non”. Il hésitait entre Nathalie Isabelle et une ex copine qu’il n’osait pas délaisser. Nathalie Isabelle mesurait combien elle m’attirait tout autant combien je respectais son choix de ne pas couper les ponts avec Denis. Quand elle me demandait conseil, je me gardais de tirer la couverture à moi.

Quand j’ai rencontré Catherine, je me suis trouvé devant un choix cornélien : devoir choisir entre la blonde et la brune. Catherine devint très vite une certitude absolue : nous avions tout en commun et le même désir d’avancer ensemble sur le chemin d’une future vie commune. Nous nous faisions écouter les musiques qui nous faisaient vibrer, principalement les concerti pour piano de Chopin et Rachmaninov. Elle et moi jouions d’ailleurs du Chopin au piano et elle souhaitait que je lui apprenne à jouer de la guitare afin d’interpréter quelques mélodies romantiques. Je l’ai présentée à mon ami Michel qui désespérais de me voir me décider pour ce que j’estimerais nommer un ‘bon parti ». Il m’a même félicité, trouvant Catherine plus qu’adorable et parfaitement assortie à son ami romantique.

Je n’oublierai jamais ce repas chez ma grand-mère réunissant autour d’elle mes parents, mon oncle Claude et ma tata-marraine Paulette (que l’on appelait Tata Paupau ou Popo). Le téléphone sonna entre le fromage et le gâteau et, en raccrochant, j’ai dis à ma famille : “Je suis désolé, mais je dois vous quitter avant le dessert”. Tata Popo a souri en s’écriant : “Jean-Marie a une petite amoureuse” ! Elle avait raison car nous nous envoyions des cartes et des lettres enflammées que j’adressais à ma petite bibiche et elle à son petit baladin. Avec des coeurs et des baisers un peu partout. Et même des dessins qu’elle esquissait pour moi seul. Ce fut l’occasion de connaître ses parents qui vivaient à Orsay sur ma ligne de RER dans une immense maison. Au premier étage vivaient leur fils et sa jeune femme. A cet étage se trouvait aussi la chambre de Catherine. Ce fut le début d’une série de dimanches chez ses parents qui enseignaient tous deux l’Anglais.

Le samedi, c’était Catherine qui venait me retrouver chez ses parents, ou elle m’invitait à l’accompagner chez sa grand-mère vivant dans la même banlieue sud. Pour moi, je n’imaginais pas un seul jour sans elle tant elle était devenue toute ma vie et que l’on partageait absolument tout. Nous animions même les messes en tandem, moi à la guitare, elle au micro. Toujours dans la paroisse de ses parents, cela dit. L’été nous avons participé à un camp d’évangélisation à Royan sous la direction d’un certain Pascal déjà évoqué dans un chapitre précédent. Lui dormait dans une maison familiale avec sa copine et tous les autres « couples » se contentaient d’une canadienne plantée sur le camping municipal. Le mois suivant, les parents de Catherine me firent connaître leur famille dans le sud de la France : Pastis à Aix en Provence, Ricard à Toulon etc. Nous avons passé près d’un mois merveilleux sur l’une des plages de cette ville et sur les marchés de Provence. Bien évidemment sa famille du sud nous demandait quand nous allions nous marier. C’est à cette occasion que le père de Catherine m’apprit que l’année prochaine, sa femme et lui partaient enseigner à Oxford et qu’il avait fait engager sa fille comme assistante. Ajoutant qu’un an passe vite et que je n’avais aucune raison de m’inquiéter.

Je reçu d’un seul coup d’un seul le ciel de Toulon sur la tête. J’ai encore une photo de Catherine prise avec un Polaroïd le jour de cette révélation qui lui donnait un visage pour le moins rêveur pour ne pas dire attristé.

L’année universitaire suivante, Catherine m’avait promis de m’appeler aussi souvent que possible depuis l’Angleterre. En fait je n’entendais sa voix tout au plus que toutes les semaines et elle me parla d’un vite d’un vieux poète qui l’invitait tous les soirs chez lui pour lui lire ses œuvre se rapprochant chaque soir un peu plus d’elle sans masquer son attirance pour sa personne. Cela ne semblait pas lui déplaire. Elle s’en sentait même flattée et me l’avouait pensant que je serais même heureux pour elle de ce succès remporté au pays de Shakespeare.

Aux vacances de Pâques, j’ai pris l’avion et suis allé la rejoindre le temps d’une semaine. Ses parents m’ont invité chez tous les amis locaux pour le five o’clock très fier de présenter le boy friend de leur fille pendant que je buvais un thé qui sentait le savon (première rencontre avec la bergamote)

Dès le retour en métropole, les parents de Catherine ont parlé de l’organisation des fiançailles. Cette cérémonie devrait réunir nos deux familles au complet dans leur jardin. Catherine reçu de Tata Popo de magnifiques bustes de Beethoven et Chopin destinés à orner son piano et d’autres somptueux présents de mes parents et de ma grand-mère. Vu que Catherine était ma muse, elle m’avait donné le goût d’écrire des chansons, majoritairement durant son année d’absence, et sa famille nous a invités à en interpréter quelques unes en duo tout en nous filmant.

Tout cela se déroulait sous le soleil de juin. Je crois que nous avons passé la fin de l’année universitaire à visiter encore et encore, avec ses parents, des châteaux en vue de s’y marier. Celui de Breteuil avait été retenu et le menu fixé par ses géniteurs. Ma maman n’aimait pas les histoires, comme elle disait, surtout pas sur des sujets matériels. Alors elle laissa dire et faire.

Je souhaitais une préparation spirituelle chrétienne en vue de ces épousailles. Nous sommes allés à une rencontre de fiancés dans son église. Tous les couples se sont juste présentés le temps du partage d’un thé (nature of course) et l’animatrice à souhaité bonne chance à chacun d’entre eux.

Il nous fallait parler logement. L’une de mes grands-mères venait de décéder et son appartement était à vendre ou à céder à un héritier Mon autre grand-mère vivait ses derniers jours et avait fait de moi son héritier via un arrangement avec ma mère et tata Popo, sa seconde fille. Je dis donc à Catherine que le lieu de notre habitation semblait s’imposer de lui-même.

Ses parents ne l’entendaient pas de cette oreille. Leur fils et sa jeune épouse enceinte allaient quitter le premier étage de leur maison et il leur semblait tout naturel que leur fille et son époux les remplace pour ne pas laisser un étage chauffé inhabité. Je n’étais absolument pas d’accords. Ceux-ci utilisèrent leur dernière cartouche pour convaincre leur fille : chez eux, nous n’aurons ni loyer ni charges à payer, ce qui nous fera économiser…au cas où nous aurions un enfant handicapé. C’était un véritable chantage pour qu’ils acceptent que leur fille se marie avec moi. J’avais 23 ans et elle 21 ans et demi. Cette goutte pesait gros à la surface d’un vase déjà débordant.

Je n’avais déjà qu’à moitié digéré que, durant nos vacances, ils nous imposaient de faire chambre à part. Il y a de l’amour après Platon, me disais-je et je ne manquais pas de rentre de brèves et discrètes visites nocturnes à leur progéniture. En dehors ce ces circonstances, nous ne nous retrouvions seuls que dans un petit bureau du CEP équipé d’un vieux canapé, voire dans la chambre de Catherine chez ses parents. Dans les deux cas, nous devions mettre une cassette d’une symphonie de Beethoven dans notre magnétophone à cassette pour couvrir les émanations sonores de nos bref ébats. Ebats bien relatifs vu qu’à l’époque, dans une famille catholique pratiquante, il était presque aussi peccamineux de parler de préservatifs que de s’avouer gauchiste. Donc je n’avais d’autre solution que faire valoir mon droit de retrait.

Arriva la phase finale des préparatifs des épousailles : la liste de mariage.

Catherine, sur les conseils de ses parents, en avait rédigé une dont je ne voyais pas la fin. Nous avons donc consacré tout un samedi pour parcourir tous les rayons des grands magasins parisiens. Et là, survint un épisode qui m’a marqué à vie : Catherine hésitait durant une heure entre deux modèles d’assiettes alors je lui ai dit : « Ecoute-moi une minute ; on n’a passé qu’une heure pour se préparer spirituellement, de plus nous ne sommes pas d’accord sur notre futur lieu d’habitation, alors je souhaite que nous reposions cette liste de matériels qui nous occupe depuis ce matin et que nous nous préparions tout autant au niveau spirituel ». Sur le retour, j’ai évoqué un témoignage d’un couple de fiancés qui avait reçu comme conseil de vivre un temps de désert de six mois, sans lettre ni appel. Je lui ai dit que la balle était dans son coeur et qu’elle me fasse signe quand elle sera prête à envisager un meilleur accordage spirituel de notre futur couple. Ayant fait cette proposition, je me suis retenu de l’appeler. Longuement. Très longuement. Sûrement trop longuement car 4 mois plus tard, une relation commune m’apprit qu’elle n’avait pas osé refuser une demande de mariage d’un homme qui était en toute chose son opposé. Un calculateur, étranger à la beauté de la musique et des églises. Un mariage qui, semblait-il, réjouissait ses parents. Ils ont très vite eu deux enfants et on acheté une maison pas loin de celle des parents de Catherine.

Quelques années plus tard, j’ai revu Catherine, sur le banc d’un square où nous nous étions donné rendez-vous. La voyant désabusée,  ne serait-ce que pour avoir dû abandonner le piano, je lui ai demandé  ce qu’elle ressentait encore pour moi. Apparemment, elle en était restée au jour de ma demande de ce fameux temps de désert. Sans jamais rien m’en avoir dit.

On a continué à échanger quelques mails, mais elle a vite dû s’en passer et en prendre son parti car son mari seul avait le droit d’avoir une email et d’accéder aux réseaux sociaux, et lui seul était autorisé à décrocher le téléphone.

Depuis, je me suis souvent demandé si je n’avais pas réagi en enfant gâté en laissant sur la touche la femme de ma vie à cause d’une question de couleur d’assiettes en porcelaine...

 

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (509)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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17 Commentaires
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Richard Ratelle
Richard Ratelle
Invité
6 décembre 2020 21 h 44 min

Je te donne un 10 pour l’écriture et un 10 pour la compréhension du texte

jocelyne
jocelyne
Invité
6 décembre 2020 16 h 21 min

merveilleuse histoire qui helas se termine triste, comme beaucoup d histoire d amour

Anne Cailloux
Membre
6 décembre 2020 14 h 28 min

Parfois cela ne tient qu’a un cheveu et souvent à une bêtise de rien..
si jeunesse savais et si vieillesse pouvait
Trés triste.

Hélène Marie
Hélène Marie
Invité
6 décembre 2020 11 h 37 min

Aussi beau que triste. Je deviens très accro à ces tomes de biographie mi-poétique mi-humoristique.

Anne-Marie
Anne-Marie
Invité
6 décembre 2020 11 h 36 min

Quel beau début mais quelle triste fin. Une si longue séparation ouvre la porte à quelqu’un d’autre. Tu étais trop pur et trop droit pour ce monde. Je crois que tu l’es resté.

Picchetti Guylaine
Picchetti Guylaine
Invité
6 décembre 2020 8 h 55 min

Très belle histoire touchante, pleine de poésie et remplie de douceur …
Beau parcours nostalgique.
Belle âme.

Grant Marielle
Invité
6 décembre 2020 7 h 51 min

Quelle tragédie ! Sentir que l’on a tant de goûts en commun, et tant de valeurs aussi, mais en même temps, éprouver un doute croissant concernant l’une de ces valeurs: la spiritualité vis-à-vis un attachement aux biens matériels. Se demander aussi dans quelle mesure l’on sera un couple indépendant… un récit très touchant d’un moment décisif dans la vie de l’auteur!

Marie francoise moissinac
Marie francoise moissinac
Invité
5 décembre 2020 19 h 49 min

Belle histoire pleine de nostalgie ? Vous vous faites éditer ? 1 regal de vous lire!

Denis Morin
Denis Morin
Invité
5 décembre 2020 19 h 08 min

Bonjour Jean-Marie. Quelle touchante histoire de regrets. Très beau. Qui a raté le train ? Elle ou lui, si ce n’est les deux. Bonne continuation.