De Rerum… Et autres sentiments…
Cécile Louvel Recueil de proses poétiques Editions Unicité
Collection Le metteur en signe, 1er trimestre 2021, 14 €.
« Peu de temps après la parution de mon ouvrage De Rerum… et autres sentiments m’est venue l’image que les émotions correspondaient aux petits cailloux blancs du Petit Poucet, qui au milieu de notre vaste forêt d’inconscience nous mettaient en mouvement, et nous montraient en quelque sorte le chemin vers nous-mêmes… »
De Rerum commence par les choses, l’attention à des choses, et enchaîne assez rapidement sur les sentiments et les émotions que suscitent ces choses, puis, me semble-t-il, les choses sont quelque peu oubliées, négligées – comme le sont du reste souvent les choses renvoyées à leur statut secondaire – au profit des purs sentiments et des pures émotions aux souvenirs des évocations d’une vie en ses temps forts comme en ses temps mornes, en ses intensités comme en ses vacuités, ses révoltes et ses attentes – « Pour moi, c’est plutôt que ça s’enchaînent les unes aux autres, que ça se fond les unes dans les autres (des choses aux émotions)… c’est vrai je pars plutôt des choses et ce qu’elles évoquent éventuellement, par leur nature, les émotions et les sentiments, le vécu de chacun, pour développer finalement davantage et plus directement les émotions et sentiments de l’humain, mais sans oublier les choses… C’est plus un glissement qu’un oubli… », me corrige et précise fort heureusement l’auteure Cécile Louvel. Ce livre de la collection Le metteur en signe dirigée par Anne de Commines présente davantage « une insolence solaire livrée à l’éclat » qu’ « une parole feutrée » selon les postulations possibles pour ces « écritures accomplies et novatrices ».
En passant, en avançant, en lisant, en regardant, on pense à des tas de choses et à moult auteurs !
Lucrèce ! De Natura Rerum… des souvenirs d’école à nos versions latines mêlant science poésie création origines mythes interprétation description vision… de l’antiquité certes mais avec des visions cosmiques très contemporaines…
Gaston Bachelard, cité en exergue double pour son introduction à La poétique de l’espace « (… )L’image poétique est un soudain relief du psychisme (…) » et « (…) Il faut être présent, présent à l’image dans la minute de l’image (…) », ah Bachelard il en a inspiré des poètes jusqu’à Brindeau et Melik et il a puisé aux images des poètes comme celles d’un Jean Laugier ! L’image picturale de femme-fleur-proue en couverture – qui m’évoque les affiches d’un Lautrec – est de la poète et communique déjà élan, traits, rouge intense. Pourquoi est-elle tournée vers le côté gauche du livre, vers une sorte de passé ? C’est, répond-elle, prestement, parce c’est aussi un mouvement d’intériorité.
Georges Perec pour son roman Les Choses le bréviaire, l’état des lieux de la société de consommation en son prime désenchantement…
Ponge pour deux maîtres ouvrages Le parti pris des choses et La rage de l’expression, le thème d’une parole accordée aux choses et aux objets et la force d’un propos qui ne lâche pas le morceau langagier d’accéder à une justesse du ressenti ou du décrit.
Jacques Prévert pour son « inventaire » cité page « Bidules » égrenant des mots en signes synonymes… et pour les poèmes libres et incisifs de Paroles ! pour son attention aux sujets sociaux, aux piques anticléricales, à ceux qui sont en marges… avec des échos aux exclamations des êtres chez Johann Rictus… Or chez Cécile Louvel le besoin d’une transcendance, de quelque chose qui élève…
Stéphane Mallarmé pour ses « abolis bibelots »… pour sa Tristesse, l’intériorité… Et comme Verlaine et Rimbaud, on sent l’envie de tordre le cou à la rime bijou d’un sou et à la part lyrique pour le descriptif de « l’impersonnage » d’un Philippe Beck, der cité de la 4e… Rimbaud et Apollinaire pour leur présentatif anaphorique objectif ou presque : « Il y a… »
Georges Brassens pour ses bancs publics et ses amoureux… pour ses airs et ses vers qui prennent chanson et l’enfance aussi se convoque en comptines « Loup y es tu ? » jouant avec le Nom.
Le Verbe Poaimer pour les deux poèmes extraits d’anthologies l’un sur la ville – et un titre de Bohringer ! -, l’autre sur la liberté, deux livres Acrostiches de la Liberté et Ballades citadines superbement illustrés par… Cécile Louvel ! et son « Grand déballage de trucs, hein ? » qu’elle nous offrit pour les Seizains des saisons s’éclaire à la lumière de son recueil de choses, nombres, ombres et signes. Etait-ce à l’« Est du verbe Être » d’Emily Dickinson chère à Anne de Commines, éditrice et poète ?
La Fontaine pour rivière transparente, pour des vers en hétérométrie garnis d’animaux cigales, canards, hermine…
Charles Baudelaire pour les thèmes de prédilection les chats les nuages l’enfance la ville l’or l’ennui l’angoisse et son mot forgé qui déforge l’humain : le spleen…
Aragon pour le premier vers d’un poème en incipit chez elle aussi « Il y a des choses que je ne dis à personne » mais cela elle nous le révèle elle-même en bas de page…
« …Vahé Godel et son poème « Les Arbres » dont la composition a inspiré ceux de mes textes justifiés à droite », c’est la première note de bas de page de C.L…, au sujet de ce poète suisse francophone contemporain dont certains textes ont la semblance de feuillages. La composition qu’évoque la poète Louvel concerne les reprises en variations de groupes nominaux thématiques. Avec des jeux de glissements de mots par le biais de multiples figures de style, qu’elle a dans sa besace – des Anacoluthes aux Zeugmes pour couvrir le spectre alphabétique.
Raymond Devos pour les jeux d’expressions qui semblent tourner en rond et tout d’un coup font mouche ! et permettent des révélations par-delà les apparences et peuvent aussi nous mettre à chanter « Quand tu t’ennuies, tu ne t’ennuies pas… ». Et l’art de jeux de mots éclairants : « Délire Délirium » pour « De Rerum »… et de mots comme des sons de tam-tam « T’aime », « T’aime »…
Comment se fait-il alors qu’avec tant de souvenirs, des volontaires et des involontaires, des littéraires, des populaires, des personnels, Cécile Louvel parvienne, par son écriture référencée et affichant volontiers des formes de modernité, à nous toucher, nous émouvoir, parler à notre oreille qui se laisse prendre aux murmures et aux cris enchantés enchanteurs ? Comment, alors que de nombreux poèmes ont une forme grammaticale minimaliste de succession de groupes nominaux, jouant, jouxtant, joutant ! ces textes parviennent-ils à prendre sens pour elle comme pour nous chacun ?
C’est que ces groupes sont comme des boules de neige d’émotion et les textes s’emplissent d’un mouvement vital qui est celui d’une conscience qui vibre et qui nous propose toute la richesse de palette d’émotions et de jours d’une « vie en diagonale » entre les solitudes jours jusqu’à « l’absurde abysse » et les partages de vues et rêves et « la plus belle foi » qu’évoque la 4e de couve recouvre aussi dans l’authentique d’un témoignage les moments où l’être s’égare et pourfend la mauvaise foi, les mensonges, les hypocrisies, les perfidies, les bavardages, les deuils. On parcourt des cartes postales mentales « Ciel écorché… », « Turbulences de nos vies »…, les vivants, les enfants, le je, le elle, les amis, les autres, le couple, le vieux couple qui deviennent albums s’animant devant nous avec galerie gens, « les choses de la vie » comme chez Claude Sautet, instants, jours, nuits, sens, lieux. De la haine à l’amour, du vide à l’espoir, de la détresse au rire, et à la renverse, éléments ressentis, interprétés comme en saynètes, on a bien la « sentimentothèque » mot délivré aussi par la 4e, autant pourrait être « émothèque » de tout ce qui nous meut qui doit trouver à s’exprimer et à se canaliser et un carrousel de formes entre proses et vers à toutes sortes de présentations sur la page. Ou sur la double page avec effets picturaux de symétrie ou de contrastes.
Les mots et les vers sont pleins de vie, pleins de répétitions, de modulations, c’est une quête effrénée pour saisir la vérité d’un instant ou d’un sentiment et ce « miroir-torrent » sait aussi renvoyer des identités qui ne soient pas sous le seul sceau du monolithique ou du binaire. On se cherche, on s’exclame, on gros mots, on mots chocs, on maudit, on mots doux, on se colère et on s’apaise. Et certaines pages sont des pépites ou perles poésie, ces deux pages ainsi côte à côte avec leurs vers inauguraux « L’oiseau de nuit a lui aussi le cœur à gauche » et « L’ouragan m’aime à l’infini », pans de texte à densité de formule et de vécu.
Cécile Louvel, artiste de maints domaines du peint au dansé, oeuvrant en points et contrepoints, en registres et tons en grande variété, a rythmé son ouvrage de façon très belle et harmonieuse avec des monostiques tournant autour de l’alexandrin à l’amorce de troisième personne « Elle connaît… » pour ses étapes sentimentales ou ses états heureux ou malheureux. Introspection et mise à distance, intériorisation et narration, « Elle connaît la vie en ses moindres recoins » ou « Elle connaît la joie à ses vibrants éclats » et onze autres vibrations sentiments émotions en italique. Et tous ces vers uniques traits élans synthèses sont rassemblés en quasi fin d’ouvrage pour un poème ou un sommaire, celui d’une vie – aux reflets et aux vérités d’éclairs au long cours où nous retrouvons aussi de nos vies, de nos choses à nos âmes. L’auteure me dira au jour d’ouverture de la saison des roses en le jardin ad hoc de L’Haÿ qu’elle avait d’abord composé ce poème dont elle a procédé par la suite à division de vers puis distribution au long de son livre, ressentant que ces balises de loin en loin permettaient des appuis à sa création comme à notre déchiffrage, notre connaissance, notre ouverture de sens…
Laurent Desvoux-D’Yrek dans la nuit d’avril à mai 2021. Et aux trois premiers jours de mai.
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Cécile LOUVEL Courriel : louvelcecile@gmail.com
Galerie en ligne : www.artmajeur.com/fr/louvelcecile/artworks
http://www.editions-unicite.fr/auteurs/LOUVEL-Cecile/de-rerum-et-autres-sentiments/index.php
Bibliographie :
DE RERUM…et autres sentiments -Editions Unicité, 2021.
Territoires Improbables – Edition Les Dossiers d’Aquitaine, 2014.
La danse Jazz et ses fondamentaux – Edition LHarmattan, 2007.
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De Rerum… Et autres sentiments…
Cécile Louvel Recueil de proses poétiques Editions Unicité
Collection Le metteur en signe, 1er trimestre 2021, 14 €.
« Instables, insaisissables, pouvons-nous authentifier les sentiments, les estampiller de notre plus belle foi ? » « Ils agissent en nous comme des diagrammes et nous cherchons perpétuellement la pièce manquante à leurs contours. Dans sa composition poétique, Cécile Louvel les assemble comme une matrice d’exigences réalistes. » « Testons cette sentimentothèque… »
« La collection Le metteur en signe dirigée par Anne de Commines s’ouvre et porte les écritures accomplies et novatrices. Lyriques ou épurés, graphiques ou symbolistes, les styles inscrivent et célèbrent cet « Est du verbe Être » comme l’écrivait Emilie Dickinson. Chaque mot recèle une parole feutrée ou porte une insolence solaire livrée à l’éclat. Chaque auteur fait signe et œuvre à ce qui le signe. »
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Un poème du livre De Rerum… et autres sentiments
L’oiseau de nuit a lui aussi le cœur à gauche
J’habite une douleur, c’est le poids de la terre
J’habite un bonheur, ces brins de muguet
Les étoiles protègent nos peurs enfantines
J’habite une douleur, l’innocence perdue
J’habite un bonheur, faire le plein d’espoir
Les pierres peuvent rire à se fendre
J’habite une douleur, c’est l’ombre de l’ennui.
J’habite un bonheur, l’esprit de présence
Nos bouches ne se murmurent qu’en tendresse
J’habite une douleur, la guerre même ailleurs.
J’habite un bonheur, l’antre de mon foyer
L’ouragan m’aime à l’infini
J’habite une douleur, c’est le noir des abîmes.
J’habite un bonheur, c’est le feu du cœur.
J’habite une douleur
J’habite un bonheur
Que tu ries ou que tu pleures
Danse encore et encore.
Cécile LOUVEL
DE RERUM…et autres sentiments -Editions Unicité, 2021.
« Et certaines pages sont des pépites ou perles poésie, ces deux pages ainsi côte à côte avec leurs vers inauguraux « L’oiseau de nuit a lui aussi le cœur à gauche » et « L’ouragan m’aime à l’infini », pans de texte à densité de formule et de vécu. » Laurent Desvoux-D’Yrek, président du Verbe Poaimer.
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Trentième année du Verbe Poaimer en association de création poétique.