18 juin – Jean-Yves Mailleux

« Pour apprécier vivre en ces temps troubles, il fallait développer l’intelligence d’être sot, se réjouir du futile, graisser ses œillères, bannir l’utopie et ensevelir l’étincelle sous l’amas du médiocre.
Troquer la soif du savoir contre l’opulence de la stupidité.
Telle était la recette quotidienne d’une existence supportable.
J’ai ainsi pu me préserver du meurtre de mon humanité, de la crucifixion de mes idéaux, de la décapitation de mes valeurs.
Mais alors que la sérénité de l’ignorance me tendait les bras, que la quiétude de l’abrutissement m’enlaçait de promesses, j’ai ouvert les yeux par instinct et n’ai vu que le néant. J’ai tendu l’oreille par réflexe et je n’ai ressenti que le vide.
La mélodie de la vie avait cessé en même temps que ma souffrance.
En annihilant ma passion, j’avais oublié la beauté du chagrin. J’avais cessé de vivre pour survivre.
J’avais trahi ma révolte et condamné mon sourire à la famine.
En remontant sur ma branche, je voulais oublier ma douleur.
Mais mon arbre céda sous le poids du remord et la chute décupla mon angoisse… »

Telle était la lettre de testament d’un homme visualisant avec stupeur que le rêve d’un monde libre, s’était échoué sur les plages de sa paresse. Et que la culture était la clé qu’il avait lui-même sacrifié sur l’autel de sa propre sécurité.

Cet aveu chargé de remords me permis d’ouvrir les yeux sur la réalité de notre monde, et de constater, avec la plus profonde tristesse, à quel point la lettre de cet homme était prophétique. Le bien-fondé de la démocratie, que nous chérissions depuis plus de deux milles ans, avait effectivement échoué lorsque la majorité était devenue stupide.

A notre époque, L’ignorance a décimé la civilisation du juste. La liberté ne pouvait se priver d’enseignement et de culture. Mais les responsables, qui luttaient contre la bêtise depuis de nombreuses années, formèrent un gouvernement validant les coupes de budget et les aseptisations de nos cerveaux. Ils entamèrent ainsi la perversion du processus.
Lorsque le peuple, devenu bête, abruti par sa famine philosophique, se rendit aux urnes, les élections devinrent une grande mascarade. S’installe alors la démocratique dictature éligible.

Dans une lettre adressée à Georges Orwell, Aldous Huxley écrivait : « La soif de pouvoir peut être tout aussi bien satisfaite en suggérant au peuple d’aimer sa servitude ».
Aujourd’hui, ces propos peuvent être perçus comme prophétiques.
L’hypnose de notre conscience a avili notre discernement et notre sottise fut dès lors capitalisée.
Par peur, par lâcheté, par complaisance ou encore par paresse, nous avons nous-mêmes tissé nos liens avec les cordes que le pouvoir obscur nous fournissait. Avachis devant nos écrans, nous avons assisté à la mort de nos droits. Pire, nous avons signé les décrets cautionnant leur mise à mort.
J’attends à présent la renaissance de mon siècle. Cette ère où les hommes apprivoiseront à nouveau la curiosité envers ce qui les entoure. Nous passions notre temps à écrire nos besoins alors que nous n’avions besoin que d’écrire notre temps.

Convaincu que le temps ne peut attendre et ne sert que la cause de l’idiotie, je suis las et je décide qu’aujourd’hui est venu le temps où tombent les œillères, le jour où l’humain décide d’explorer à nouveau le territoire presque vierge de son esprit.
« L’homme est une corde tendue entre la bête et le surhomme. »
Il est temps à présent de suivre cette affirmation de Friedrich Nietzsche et de reprendre notre marche effrénée vers cet autre état.

Einstein avait tort de penser que la technologie sonnerait notre déclin. L’échec de notre temps, nous ne le devons qu’à notre paresse. Fainéantise culturelle que le pouvoir s’est empressé de ramasser dans la fange pour la placer dans sa corbeille électorale et s’assurer ainsi sa discutable légitimité.

Certes, nous avons été (nous sommes) submergés par la force politique, médiatique, servant la cause de l’idiotie. Infiniment plus que sa puissance, c’est sa détermination, mêlée à notre apathie, qui scelle notre ruine.

Mais le dernier mot est-il dit? L’espérance doit-elle disparaître? La défaite est-elle définitive? Non !

Je vous le dis ici et maintenant, mes amis. Même si nous devons encore faire face à des difficultés, je fais toujours ce rêve. C’est un rêve profondément ancré dans l’idéal humain. Je rêve que, un jour, notre peuple se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de son credo. « Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes sont créés égaux et libres. »
Je rêve que mon enfant vivra un jour dans un monde où il ne sera pas abruti par les plus hautes instances qui doivent théoriquement le protéger et l’élever au rang d’homme.

Je fais aujourd’hui ce rêve !
Je rêve qu’un jour les petits garçons et les petites filles instruits par leurs pères et leurs mères pourront se donner la main et être les propriétaires absolus de leurs choix.
Je fais aujourd’hui un rêve !
Je rêve qu’un jour toute la vallée sera relevée, toute colline et toute montagne seront rabaissées ; je rêve que les endroits escarpés seront aplanis et que les chemins tortueux seront redressés.
Telle est mon espérance.
C’est la conviction avec laquelle je lutte aujourd’hui.
Avec cette ténacité, nous serons capables de distinguer dans la montagne du désespoir une pierre d’espérance.
Avec cette force, nous serons capables de transformer les discordes criardes de notre terre en une superbe symphonie de fraternité.
Avec cette volonté, nous serons capables de travailler ensemble, d’apprendre ensemble, de lutter ensemble, d’aller en prison ensemble, de défendre la cause de la liberté ensemble, en sachant qu’un jour, nous serons libres.
Ce sera le jour où tous les enfants pourront chanter ces paroles qui auront alors un nouveau sens. « Ma planète, c’est toi, douce terre de liberté, c’est toi que je chante. Terre où sont morts mes pères, terre dont les pèlerins étaient fiers, que du flanc de chacune de tes montagnes, sonne la cloche de la liberté !
Quand nous permettrons à la cloche de la liberté de sonner dans chaque village, dans chaque hameau, dans chaque ville et dans chaque pays, nous pourrons fêter le jour où tous les enfants de la terre, les noirs et les blancs, les juifs et les non-juifs, les protestants, les catholiques, les musulmans pourront se donner la main et chanter : “ Enfin libres, grâce en soit rendue, nous sommes enfin libres ! ” ».

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour l’intelligence. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire germer un jour la victoire. Car la résistance n’est pas isolée ! Elle peut faire bloc avec notre volonté de triompher et de continuer la lutte. Elle peut utiliser sans limites l’immense pouvoir de la rébellion.

Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre est une guerre mondiale, la troisième.
La première était une affaire d’orgueil ; la deuxième, d’humiliation. La troisième sera fertilisée par l’ignorance programmée. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n’empêchent pas qu’il y existe, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour cet ennemi qu’est la bêtise. Foudroyés aujourd’hui par la force de l’hypnose et de l’abrutissement, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une volonté supérieure. Le destin du monde est là.

Voici venue l’heure de la révolte intellectuelle. Le chant des partisans, dénué de grenades mais armé de sagesse et de tempérance, s’entonnera et les livres sortiront du placard en même temps que les idées.

Je suis heureux de me joindre à vous aujourd’hui pour participer à ce que l’histoire appellera la plus grande démonstration pour la liberté dans les annales de notre terre.

Moi, résistant de la pensée, actuellement en exil, j’invite les penseurs, les étudiants, les enseignants, les ouvriers, les employés, les ingénieurs, les architectes, les médecins, les paysans, toute personne soucieuse de son avenir et de celui de ses enfants à se mettre en rapport avec la connaissance et la culture et ce où qu’elles se trouvent.

Humain, ne te résigne pas. Ecoute la voix de ta conscience et donne-lui les outils qui lui permettront de parler. Apprends-lui à réfléchir, à poser des choix, à se révolter et à discerner. Propage la connaissance, le savoir, et la culture, mais n’en fais pas arme de propagande. N’essaye surtout pas de convaincre, car tu deviendras alors aussi fou que ces fous qui te gouvernent. Protège ta liberté mais n’en deviens pas esclave. Ta modération sera ta meilleure compagne. Dans l’adversité, face aux crimes les plus horribles, souviens-toi que la peur est ta pire ennemie, car elle légalisera l’infâme, paralysera la rébellion, stigmatisera les pondérés et fera des opposants des êtres marginaux indésirables et illégaux.

Méfie-toi de ceux qui prétendront t’en guérir. Le remède est toujours aussi douloureux que le mal. Lorsqu’une loi te libère de tes peurs, elle t’enferme aussitôt dans un univers duquel la terreur sortira assurément de l’ombre. La tempérance, la réflexion, la réserve sont les seules armes efficaces pour éradiquer la peur. Prends garde aux discours simplistes, aux synthèses radicales. Tout est affaire de nuances. Et nul ne détient la vérité ultime. Mais quoi que tu fasses pour la liberté et la propagation de la connaissance, de la curiosité et de la révolte à l’oppression, ne te décourage pas car, comme disait Voltaire : « Lorsque tu fais quelque chose, sache que tu auras contre toi ceux qui veulent faire la même chose, ceux qui veulent le contraire et l’immense majorité de ceux qui ne veulent rien faire. » Dans une société soumise, oppressée, et offerte aux diktats de la perversité médiocre, le silence est un meurtre, l’isolement un génocide. Le doute devient alors un acte de résistance et incite à la rébellion qui assurera la victoire.

Rassemble tes forces pour l’aube, car l’aube viendra ; elle se lèvera brillante pour les braves, douce pour les fidèles qui auront souffert. Vive la connaissance! Et vive aussi le soulèvement des braves gens de tous les pays qui cherchent leur patrimoine perdu et leur culture enfouie sous les gravas de la médiocrité. Nous marchons vers des temps meilleurs.

Quoi qu’il arrive, quoi que l’avenir réserve, la flamme de la résistance philosophique ne doit pas s’éteindre.
Une route mène à la soumission et une route mène à la souffrance, mais une seule route conduit à la liberté. Je sais bien qu’il n’y a pas de voie facile vers la liberté. Et si je sais que beaucoup de conflits trouvent leurs sources dans notre besoin d’appartenir, je sais aussi que nul d’entre nous agissant seul ne peut obtenir cette victoire sur l’ignorance. Il nous faut donc agir ensemble en tant que peuple uni pour la réconciliation mondiale, pour la construction de la nation humaine, pour la naissance d’un nouvel État teinté de culture et de sagesse, de tempérance et de respect, de retenue et de dignité.

Que règne la liberté ! Le soleil ne se couchera jamais sur une réussite humaine si glorieuse.
Ce chemin est un présent que nous léguons aux avenirs, une aube que nous offrons à la nuit.

J.Y.M.

resistancephilosophique@yahoo.com

Si tu as lu ce message jusqu’au bout, cet appel modeste du 18 juin 2015, tu as alors déjà remporté une victoire sur la paresse intellectuelle insufflée par tes peurs. Le premier pas est important et, de ce choix, découlent aisément les suivants, pour autant que la soif de liberté et de savoir demeure plus forte que l’apathie cérébrale et la sécurité dictatoriale.

Merci.

Les extraits des discours de « I Have A Dream » de Martin Luther King, de « l’appel du 18 juin » de Charles De Gaulle, de l’investiture de Nelson Mandela ainsi que du message d’espoir de Winston Churchill adressé par la radio aux Français tombés sous le joug de l’envahisseur Nazi sont repris dans ce texte. Certains mots ont étés modifiés de manière intentionnelle pour prendre corps de manière plus pertinente avec le mal de notre temps.

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1 réflexion au sujet de « 18 juin – Jean-Yves Mailleux »

  1. Merci pour ce texte. Malheureusement,il est terriblement vrai. Très souvent je tiens des ” discours ” de ce genre autour de moi et cela est loin de plaire car la vérité fait mal. Il est évident que d’éviter de penser est plus agréable que de torturer son cerveau. Cette paresse à penser a apparu tout doucement, s’est glissée dans la vie sans faire de bruit et s’est allongée sur des coussins de plume,s’y installant pour de bon mais grandissante jour après jour, acceptée avec l’espoir qu’ainsi la vie sera plus facile – la vie en rose – sollicitée par les gouvernements, aidée par la plus grande partie des MMM, radio, TV etc…La culture, l’instruction qui donnent la lumière, sont devenues les ennemis de l’être et ces ennemis sont devenus les amis de ceux qui gouvernent – que ce soit politiquement ou religieusement – d’où le résultat actuel de cette déchéance, ce déclin.Le “ego” a repris de sa force perdue alors que l’union a perdu la sienne. Espérer des changements,c’est ce qu’il nous reste mais je pense qu’il faudra que le monde entier se soit complètement déchiré” sur les gravas de la stupidité ” pour qu’ étant devenu aveugle, alors il se réveillera et réagira.

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