Camomille l’écureuil – Marcel Charlebois

Premier chapitre : Disparition fortuite

Par une froide journée d’automne, une famille d’écureuils regarda la neige tomber sur une forêt rougie par la mauvaise saison. Peu à peu, elle fut recouverte d’une pmince couche de givre annonçant l’arrivée toute proche de l’hiver. Le vent soufflait de ses poumons gigantesques et fit tomber les dernières feuilles accrochées aux arbres. Fleur de Muguet, maman écureuil, compta ses enfants et s’aperçut avec stupéfaction de l’absence de l’un d’eux, prévenant aussitôt Pied de Quenouille, papa écureuil. Celui-ci partit dès lors à la recherche de Camomille, sa fille adorée. Il chercha, chercha et chercha en vain ; la neige ayant prélevé son dû sur les
traces que parfois laissent courir les êtres vivants.
Pied de Quenouille rentra à la maison annoncer la triste nouvelle de la disparition fortuite de Camomille,
l’aînée de la petite famille de cinq membres. Fleur de Muguet tressaillit, son cœur de mère se mit à battre
douloureusement et elle fondit en larmes dans les bras de Pied de Quenouille.
Une journée entière passa lorsque soudain, Fleur de Muguet découvrit une lettre de Camomille à l’endos de sa photo accrochée au mur intérieur de l’arbre dans lequel toute la famille vivait. On pouvait y lire ce qui suit :
« Je pars pour m’initier à la vie mondaine, loin des sentiers battus de notre verte forêt. J’irai là où la plaine
de Nacre s’étend à perte de vue vers l’eau salée et que les hommes surnomment océan !
Je tenterai de rentrer en contact avec vous par le biais de Rose des Fées, cette tourterelle étant comme vous le savez ma meilleure amie. Je vous ai subtilisé quelques provisions de noix pour le début de mon voyage. Je tenterai de m’en procurer comme je le pourrai par la suite et au fil des jours qui passeront.
Votre fille qui vous embrasse, Camomille »

Deuxième chapitre : La plaine de Nacre

Mi-ado, mi-adulte, Camomille partit avec Rose des Fées vers la plaine de Nacre goûter à l’aventure qui, espéraitelle, la rendrait autonome, après quoi elle pourrait fièrement passer de l’enfance à l’âge mûr et responsable.
Arrivée à la plaine de Nacre, elle chercha un abri pour elle et Rose des Fées. Malheureusement pour elle et son amie, il n’y avait que quelques arbres disséminés çà et là et ils étaient tous occupés par la faune environnante.
À force de tourner en rond, Rose des Fées trouva un vieil arbre mort envahi par les termites qui en interdisaient l’accès. Elle dut en effet négocier avec la reine des termites le prix à payer pour avoir le droit de s’y installer quelque temps avec Camomille. Une fois le contrat signé, elles devinrent toutes deux la propriété
des termites sans s’en rendre compte en apposant leur nom sur l’écorce fendillée du vieil arbre mort.
Camomille devint bête de somme et Rose des Fées, prisonnière sur sa branche, les pieds cloués sur celle-ci.
« Je ne pouvais croire à la méchanceté des bêtes envers d’autres bêtes comme chez les hommes », murmura
Camomille.
Rose des Fées, qui ne pouvait plus voler, roucoulait maintenant pour le bon plaisir de madame la reine, insatiable de l’entendre chanter, qui lui donnait des
piqûres à base de caféine pour la maintenir éveillée. Ne songeant qu’à l’évasion, notre tourterelle attendait toujours en roucoulant que le soleil se couche pour mettre en branle le dispositif.
Elle se mit à chanter sur un air si doux que tous, y compris la reine, sombrèrent dans un profond sommeil.
Rose des Fées libéra ses pieds de l’épaisse gomme secrétée par les termites, en faisant battre ses ailes à tout
rompre et, une fois dégagée de sa mauvaise posture, agrippa Camomille elle aussi endormie.

Troisième chapitre : L’ile aux cinglés

Elle vola, vola et vola sur une distance de plus de cinq cents kilomètres avant de se poser. Camomille se réveilla soudainement, contente d’être libre à nouveau, mais loin, très loin de la verte prairie. En fait, Rose des Fées avait survolé entièrement la plaine de Nacre.
Arrivée à l’eau salée, elle avait continué son vol pour se poser sur une île où tout d’en haut paraissait accueillant, verdoyant de vie.
Elles trouvèrent rapidement un gîte sans qu’aucun usurier ne tente à nouveau de les berner.
Une seule chose les intriguait : les habitants de l’île semblaient jeunes et souvent difformes et les nouveauxnés grandissaient à une vitesse accélérée. Peu à peu, Camomille s’intégra à la faune en devenant rapidement l’enjeu principal de deux gentils écureuils désirant s’approprier ses faveurs par un combat bestial, presque humain… Le plus laid des deux gagna ce même combat et Camomille accepta volontiers de se soumettre à tous ses désirs les plus secrets.
Il lui fit goûter à un gland de Freusène (arbre touffu et en très grand nombre sur l’île). Si bien qu’après l’avoir
consommé, Camomille sombra dans une amnésie profonde sans retour.
Rose des Fées essaya de parler avec Camomille, mais elle répondit que jamais elle ne l’avait vue auparavant et que la seule personne qu’elle connaissait était son nouvel ami écureuil avec qui elle vivait désormais.
Sous le coup de la colère, Rose des Fées égratigna de ses pattes le dos de Camomille, sans toutefois la blesser.
Pauvre tourterelle abandonnée par sa meilleure amie sur cette île de plus en plus mystérieuse. Elle se mit à tourner en rond au-dessus de cette dernière pour réfléchir lorsque du sommet de sa plus haute montagne elle entendit une vieille tourterelle l’appelant par son nom. Elle obliqua son vol immédiatement à l’appel de l’oiseau ridé par les années et qui se présenta :
– Je suis Brin de Maïs et toi Rose des Fées, la gentille
tourterelle de la verte forêt.
– Comment savez-vous mon nom ? demanda Rose des Fées à son interlocuteur.
– Rose des Fées est le nom que t’ont légué tes parents adoptifs. En fait, ton vrai nom est plutôt Rose de Brin de Maïs, je suis ton père biologique.
– Vous ! Mon père ? Je comprends maintenant ! L’on m’a dit que ma vraie mère était morte en me couvant dans l’œuf et que vous m’aviez abandonnée.
– Eh oui ! Tu serais décédée ma petite si je ne t’avais pas confiée à un autre couple de tourterelles. Celui-ci exigea de moi que je disparaisse à tout jamais pour
t’éviter un jour de pénibles retrouvailles ; tu sais maintenant la vérité sur notre compte.
– Oui papa, répondit Rose des Fées en embrassant son père ébranlé. Mais dis-moi, pourquoi Camomille ne me reconnaît-elle plus ? On dirait qu’elle est devenue complètement amnésique.
– Elle l’est vraiment devenue, ma chère enfant. Tu sais, bien des choses se sont passées depuis vingt ans sur cette île. Des bipèdes qui parlent pour ne rien dire en nous éventrant et qui ont inventé la guerre des mondes, sont venus bâtir un lieu de repos et de tranquillité pour
la folie qui les afflige.
– Ce sont les vieux bâtiments désaffectés que j’ai survolés en arrivant ici, n’est-ce pas papa ?
– Oui, Rose des Fées ; et en plus, ces mêmes bipèdes ont pulvérisé les essaims d’abeilles dans le but de croiser génétiquement la flore pour en extraire un antidote propre à guérir leur mal de vivre.
– Que s’est-il passé ensuite ? Allez, dis-moi tout, s’il te plaît papa.
– Oui ma fille, je te dirai tout. Au lieu d’obtenir l’antidote recherché, les bipèdes contaminèrent les végétaux
et conséquemment toute la vie en découlant. Si bien que l’île elle-même subit d’étranges mutations. En premier lieu, les hommes que j’appelle les bipèdes s’aperçurent des ravages engendrés par leurs expériences et
quittèrent l’île dans les mois qui suivirent leur arrivée.
Leurs malades moururent par centaines ainsi que le personnel médical et scientifique nouvellement débarqué. Après quoi, nous, de la faune animale, avons eu à subir le produit final de leurs savantes découvertes. Ton amie Camomille a mangé un gland de Freusène, une espèce végétale créée de toutes pièces par les hommes.
Elle a la particularité de rendre amnésique, mais il y a pire encore : elle tue son consommateur dans les semaines qui suivent. Ton amie est condamnée.
– J’ai compris père, je retournerai dans la verte forêt si tu veux bien venir avec moi.
– Je suis trop vieux ma fille, répondit Brin de Maïs.
Mes ailes ne supporteraient pas un si long voyage. Allez ! Va, et fais attention aux marchands de rêves dans la verte forêt car leur camelote est faite de produits d’ici, c’est-à-dire des hybrides végétaux que les fous ont rapportés avec eux. Ils les distribuent à prix d’or à qui
veut bien les acheter, sans égards pour les répercussions mortelles dont je t’ai parlé. En bordure de la verte forêt,
il y a une décharge abandonnée des hommes, ne t’y aventure pas. Les odeurs qui en émanent suffiraient à elles seules à altérer ta jeune vie, alors imagine les
espèces animales s’en nourrissant…

Quatrième chapitre : Retour au bercail

– Je sais, papa ; ce dépotoir est une calamité apportée par les hommes restant en bordure de l’eau salée.
Depuis, seuls les rats en parcourent les sentiers.
– C’est vrai, répondit Brin de Maïs, mais n’oublie pas : n’achète rien des animaux ayant jadis côtoyés les hommes. Il te ferait grand tort de croire en leurs promesses d’une vie plus belle et plus écarlate en ingérant leurs petites pastilles blanchâtres. Adieu ma fille, il est maintenant temps pour toi de rentrer pour rassurer tes parents adoptifs et de parler franchement à ceux de Camomille.

Mise en page : JePublie – www.jepublie.com
Imprimé en France
janvier 2013

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Marcel Charlebois (104)

J'habite au Québec, à Montréal plus précisément.J'ai découvert à l'âge de 15 ans mon amour des lettres. À la bibliothèque du lycée, j'ai d'abord dévorer les bouquins avant de fignoler ma plume. J'ai aussi depuis comme vous le constaterez fait mon chemin dans cette vie empruntée aux aléas des caprices qui en contrôlent l'existence. Certes j'épluche les lettres tant bien que mal et tant pis, cela me convient parfaitement. Alors me voici sans fioritures et dans mes expressions les plus simples. Voilà donc ma description du fouillis par lequel chacun d'entre nous s'abandonne inéluctablement.

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